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Adaptation cinématographique des romans africains : Pourquoi les francophones sont-ils à la traîne.

Dernière mise à jour : 31 juil. 2021


Aujourd’hui, je devais participer à une discussion autour de l’adaptation cinématographique des romans africains, notamment francophones. La rencontre s’est tenue via Zoom avec Lorna Likiza du Kenya dont je salue les initiatives. Mais pour des raisons techniques, je n’ai pas tout à fait pu exposer mon point de vue. Alors je le fais ici, sur mon blog.


Le constat

Une analyse sérieuse du sujet commanderait qu’on définisse d’abord ce qu’on entend par cinémas africains et par romans africains. Je ne compte pas développer cette question sempiternelle ici. En revanche, je citerai Petit pays, très beau roman du Franco-rwandais Gaël Faye, pour prendre l’exemple d’une récente et rare adaptation cinématographique de littérature afro-francophone. Qu’on me pardonne, mais le film du même nom que le roman, Petit pays donc, n’est en réalité, à mon sens, qu’un film franco-belge. Une fois de plus, je n’entrerai pas dans les détails ou les critères qui m’amènent à cette conclusion : il me semble d’ailleurs que ce soit clair pour tout le monde. Une évidence, quoi.


La question, celle que je devais débattre avec mes autres interlocuteurs dont Serge Nogoué, bien connu pour son festival Nollywood à Paris, est celle de savoir pourquoi les œuvres littéraires africaines (francophones) peinent tant être adaptées à l’écran ? À part Sembène Ousmane, Skolastique Mukasonga, Gaël Faye et dans une certaine mesure le Marocain Abdelah Taïa avec L’armée du Salut, porter le roman à l’écran est un procédé rarissime en Afro-francophonie.




Pourtant ce ne sont pas les grandes plumes qui manquent. Tant s’en faut ! Je peux citer comme ça en vrac : Sony Labou Tansi, Ahmadou Kourouma, Tierno Monénembo, Marlyse Condé, Yasmina Kadra, Alain Mabanckou, Fatou Diomé, Ken Bugul, Aminata Sow Fall, Emmanuel Dongala et son magnifique Photo de groupe au bord du fleuve qui, je le crois profondément, ferait une très belle adaptation à l’écran.


Comment ça se passe ?

Il faut savoir que la transition des lettres à l’écran nécessite plusieurs étapes : prise de contact, réseautage afin de trouver une boîte de production prête à s’investir dans l’aventure, négociation des clauses d’adaptation avec la boîte de production, choix des scénaristes, participation de l’auteur à l’écriture du scénario, clauses de distribution (Ah ça, c’est très important, la distribution !), etc. etc. Ce n’est donc pas une petite affaire.


À ma connaissance, ici en Suisse où je vis, et certainement aussi en France, les éditeurs sont régulièrement invités à rencontrer des producteurs et réalisateurs qui pourraient s’intéresser aux œuvres littéraires qu’ils ont éditées en amont. Le succès du livre, le succès de l’auteur, la capacité pratique d’adaptation et de divulgation, entendu la distribution, les bénéfices à engranger : là sont quelques des critères qui dirigent ces speed-dating lettres-cinéma. Je parle de speed-dating, car, chaque éditeur-rice n’a que quelques minutes pour présenter ses œuvres et espérer susciter l’envie de son audience qui, je crois, pensent d’abord, et c’est tout à leur honneur, aux bénéfices qu’ils pourraient engranger.

De telles initiatives existent-elles en Afro-francophonie ?


En francophonie littéraire africaine (et donc en France puisque la plupart des droits des romans de nos grands auteurs afro-francophones est détenue par des maisons d’éditions parisiennes), le travail de cession des droits d’adaptation est fait directement par les maisons d’édition elles-mêmes. Rien à voir donc avec le système d’agences littéraires bien connu chez les Anglos. Cependant, je souligne que depuis une dizaine d’années, quelques agences littéraires sérieuses voient le jour en Francophonie. L’agence Pierre Astier par exemple. Elle joue un rôle très important dans la traduction des œuvres littéraires africaines francophones vers d’autres langues et notamment l’anglais.





L’argent, le nerf de la guerre.

C’est bien connu, qui paye décide ou alors, pour être moins radical, qui paye influence la prise de décision et les choix. La plupart des films africains aujourd’hui trouvent leur financement en Occident.


Cet état des choses a un impact indéniable sur la sélection des scénarii africains portés à l’écran. Pendant des années, nous avons eu droit aux mêmes thèmes : la situation de la femme vue au travers d’une lentille occidentale, l’excision, la polygamie, la guerre, la pauvreté, la faim etc. En gros, tout ce qui conforte les consommateurs finaux (occidentaux) dans la perception qu’ils se font déjà de l’Afrique.


Le problème reste et demeure le même : pour quel public le livre a-t-il été écrit, édité en amont ? Et son adaptation à l’écran, à quel public s’adresse-t-il ? Les obstacles sont multiples, y compris du côté africain : une adaptation de Photo de groupe au bord du fleuve d’Emmanuel Dongala, pourra-t-elle être visionnée en RD Congo ? Une adaptation du Pleurer-Rire d’Henri Lopes, sera-t-elle facilement projetée en Afrique ? Et même une adaptation de ma Promesse de Sa Phall’Excellence, peut-elle être projetée actuellement à Yaoundé ? Allez, imaginons que oui. Oui, mais dans quelles salles ?



Adieu ma salle de cinéma !

Les films africains ont toutes les peines au monde à rentrer dans le circuit classique de la vie d’un film : de la sortie en avant-première (en salle ou dans un festival) jusqu’à sa distribution en dvd ou en commandes sur les plateformes spécialisées. C’est tragique !


En Afro-francophonie, les salles de cinémas ont toutes fermé les unes après les autres. Elles se sont transformées en églises de sommeil (Alléluia ?) ou en China Town. C’est fini cette époque, celle de mon enfance, où nous pouvions encore nous rendre au Cinéma Rex à Douala pour regarder ne serait-ce que des blockbusters américains, six, sept, huit mois après leur sortie officielle en salle en Occident. Quel retard ! Aujourd’hui, trouver seulement une salle de cinéma digne de nom– nous sommes en 2021 ! – en francophonie africaine sub-saharienne, est presque Mission Impossible.




La superbe initiative Ciné Guimbi lancée par le Genevois Bernie Goldblat, a eu bien de peines à trouver des financements. Pourtant, les bénéficiaires directs de ce projet de complexe cinématographique, Ciné Guimbi, à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, seront d’abord les Burkinabé, les Africains. Aussi, la question qui me démange les lèvres est : mais où sont donc passés les fonds culturels africains ? Où va l’argent de la culture ?


Dans certains pays afro- francophones, on a souvent l’impression que le ministère de la culture est en fait le ministère de la musique et de la danse. Le cinéma et surtout la littérature, sont les grands cadets de ces ministères-là. Je préfère taire ici la mauvaise gestion des trop petits fonds alloués à ces arts. Mauvaise gestion ? Je parle de détournements éhontés de fonds publics.


Investisseurs privés, je vous drague.

Pourtant, il est un secteur qui se porte plutôt très bien en Afrique : celui de l’art contemporain africain. Les sommes évoquées donnent souvent le tournis. Ça doit laver encore plus blanc que n’importe quel détergent. Soit. Je ne veux pas me mêler du business des gens ou donner l’impression de vouloir descendre mes collègues plasticiens, peintres, sculpteurs, etc. Non. Mon propos est de suggérer aux investisseurs privés africains de miser un peu de leur fortune dans la littérature, la philosophie, la poésie, le théâtre, le cinéma.


Oui, chers bailleurs de fonds privés africains, mes chers milliardaires et millionnaires africains en USD, please, investissez ne serait-ce qu’un pour cent de vos bénéfices dans la littérature-cinéma et j’en sûr, et même très certain, vous ne perdrez pas. Investissez dans les bibliothèques, les librairies, les maisons d’éditions, les revues littéraires, les groupes de réflexions. Investissez dans la formation des jeunes plumes du continents – elles sont là, plus talentueuses les unes que les autres. Volontaristes, elles ne demandent qu’à bénéficier d’un encadrement, un accompagnonnage qui leur permettra de déployer leur génie du local vers l’international. Ceci est capital, c’est même urgent pour l’émancipation nécessaire de nos imaginaires.



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